Polychromes

Ils s’étaient croisés à maintes reprises pour le boulot... Elle avait dû l’interviewer pour ses activités extra professionnelles. Il exposait parfois et leur goût commun pour la peinture les avait rapprochés. Il avait été surpris par la facilité avec laquelle elle avait su percer le mystère de ses polychromes. Ce jour-là, ils avaient parlé plus que d’ordinaire encore, les invités pour le vernissage étaient tous partis, la propriétaire de la galerie commençait à les regarder d’un oeil noir en louchant ostensiblement sur sa montre mais, perdus dans leur discussion, ils ne voyaient rien du monde qui les entourait, ils poursuivaient à deux un cheminement de pensée qui progressait de l’un à l’autre dans une relative souplesse... Doucement, Mrs Dean les avait dirigés vers la sortie et seul le froid nocturne du début de l’année les avait rappelés à la réalité : ils se regardèrent également surpris et se mirent à rire... D’un commun accord, ils décidèrent de poursuivre leur discussion au chaud et si possible au Clos de la V.
, devant une composition culinaire qui réjouissait la vue autant qu’elle augurait de plaisir pour le palais, tout un univers de saveurs en perspective... Par chance, il restait de la place. Ils en étaient au chapitre de l’intériorité indispensable pour tout artiste qui, pour être créateur ne commençait pas moins par recevoir du monde la matière sensible à transcender. Inévitablement, John en était venu à parler de lui. Sans chercher à briller, sans passer pour une victime, il savait prendre sa part de responsabilité dans ce qui lui était arrivé ; néanmoins, s’il était ressorti plus vulnérable de l’épreuve qu’il avait mise en peinture à défaut de pouvoir la mettre en mot, paradoxalement, il était à présent plus serein aussi. Plus sage d’une certaine façon. il avait appris à se connaître. Une thérapie qui avait porté ses fruits et qui l’avait conduit à la délivrance... Alma avait fini par ranger son éternel calepin... A présent, il était hors de question pour elle de prendre des notes. Et si elle l’avait interrogé, elle l’avait surtout écouté. Et puis, ce fut son tour. Pour une fois, ce n’était pas elle qui questionnait mais lui ! On aurait dit qu’il souhaitait tout savoir ! Ils se mirent à rire !!! Sans doute, d’un point de vue extérieur cela pouvait sembler rien moins que soporifique mais pour eux pas le moins du monde. Il s’étaient quittés ce soir là comme à regret. Ils avaient échangé leurs numéros de portable comme deux écoliers. Et puis, il avait offert de la raccompagner, sous la pluie qui s’était mise à tomber...
Ecrit le  Mer 11 Jan 2006, 21:24  par 
dolce vita
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Polychromes (2)

Elle se sentait engourdie mais ce demi sommeil était très agréable. John l’avait raccompagnée et puis, il s’était résolu à partir en lui souhaitant une douce nuit. Epuisée par sa longue journée, après avoir rédigé et transmis deux papiers urgents, elle s’était enfin dévêtue et enfilé la nuisette en satin crème qu’elle affectionnait. Elle joua à se faire des grimaces dans le miroir de la salle de bain, elle se sentait d’humeur taquine, et puis, les yeux perdus dans le lointain, elle avait esquissé un vague sourire à son reflet, qu’elle ne voyait plus... Il n’était pas du tout le genre d’homme qu’elle aimait, très grand, châtain foncé, les yeux noisette, elle se demandait ce qui pouvait l’attirer autant chez John, la douceur de son sourire ? L’intensité d’émotions rarement égalée qu’elle lisait dans ses toiles ? Sa soif d’amour qui faisait écho à la sienne ? Sa sensualité gourmande ? Elle n’aurait su le dire, mais elle se sentait bien en sa présence, surtout lorsque ses yeux devenaient si tendres et qu’elle lisait en eux le désir ou... Elle s’en voulait un peu, elle s’était pourtant juré de ne plus se laisser prendre au piège de l’amour ; non, non, non, jamais, plus jamais, s’était-elle bien promis... Elle pouvait bien se faire des grimaces, elle n’était pas dupe du désir qu’elle ressentait d’un corps à corps à corps langoureux... Elle revoyait ses longues mains élégantes et elle frissonna. Il avait posé son front sur le sien et elle s’était écartée doucement. Elle ne voulait pas d’un erzats d’amour. Elle voulait l’Amour ou rien. En cet instant, elle ne cherchait pas à se mentir mais elle ne voulait pas faire de projet, juste profiter du jour, carpe diem... Après avoir éteint la lumière de sa chambre à coucher, Alma se blottit sous la couette glacée en attendant que sa chaleur envahisse l’espace et lui permette de sombrer dans un doux sommeil réparateur...
Ecrit le  Jeu 12 Jan 2006, 12:24  par 
dolce vita
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Polychromes (3)

Elle s’était laissée aller à plonger délibérément dans le monde des rêves comme Sophie et BFG (Big Friendly Giant), comme eux à capturer les rêves joyeux des enfants sages, lorsqu’un coup de téléphone la sortit de sa torpeur et d’un bond elle fut hors du lit, la main sur le combiné.
- « Qui est en ligne ? » demanda-t-elle.
- « Je te réveille ? supposa la voix à l’autre bout du fil.
- « Non, non, j’étais en train de faire un jogging, plaisanta Alma qui avait reconnu la voix de son amie, Lindsey. « Qu’y a-t-il, Lindsey, rien de grave ? »..
- « Non, rassure-toi, juste un petit coup de déprime. Un coup de blues... »
- « C’est Jim ? »
- « Oui, c’est Jim, il a été odieux aujourd’hui encore, il m’a dit qu’il ferait ses bagages, chuchota-t-elle, mais au lieu de ça, il tourne en rond, il bougonne »... « Il est jaloux, il me surveille et quand je suis auprès de lui, on dirait que je n‘existe plus, ou au contraire il semble que ma présence le contrarie... Il ne cesse de montrer sa mauvaise humeur. D’être odieux. Je t’assure j’envie ta solitude. »
- « Pourquoi ne part-il pas ? Il devrait prendre un peu de temps pour lui, pour faire le point, savoir où il en est... A moins qu’il n’ait peur de reconnaître qu’il s’est trompé, que le courant ne passe plus ? Peur de l’échec ? Et puis, tu sais il y a des gens qui ne savent pas rire, il en fait peut-être partie... Je ne sais pas si c’est acquis ou génétique mais il y a des familles de ch... »
- « Vraiment, j’en ai assez, arrête de rire et de prendre tout à la légère... »
- « Ne crois pas ça, moi c’est ma solitude qui me pèse et je me demande parfois si je en suis pas une espèce extraterrestre, un E.T. qui n’existe qu’à un seul exemplaire... J’attire les hommes qui ne sont pas libres. Ils me tournent autour, m’appâtent, fantasment 5mn et pof, soudain se souviennent qu’ils ont des obligations ou que leur cœur ne bat pas pour moi et s’en vont... Je voudrais être sans cœur, sans cœur on ne souffre pas. Qu’en dis-tu ? »
- « Sans cœur ? Toi ? Autant demander à un four de fabriquer des glaçons ! »
- « Ah, je vois que tu vas mieux ! Ton sens de l’humour revient... »
- « A propos et John ? »
- « Quoi, « John » ? »
- « Tu l’as revu ? »
- « Je ne parlerais qu’en présence de mon avocat. »
- « Ce soir, tu as mangé avec lui ? Il... Il est là ? »
- « S’il était là tu crois que je t’aurais répondu ? Qu’est-ce que tu imagines, Lindsey, que l’amour va s’arrêter chez moi ? Tu rêves ! Pour cela il faut savoir séduire, se faire désirer, etc. Je ne sais pas faire. Tu le sais bien. Non, moi je ne sais qu’aimer et cela ça n’intéresse pas les hommes. Enfin, il y en a peut-être un quelque part qui me correspond, promis, acheva-t-elle en un bâillement, si je le rencontre, je te laisse le scoop. »
- « Bon, je vois que ma conversation te passionne, je vais te laisser, de plus, mon cerf est en train de bramer et le bois n’est pas assez lointain pour que je ne l’entende... Bye. Buena notte ».
- « Buena notte, ragazza ».
Elle tituba jusqu’à son lit qu’elle chercha à tâtons dans le noir, elle ressentit le désir d’être dans les bras de John mais elle chassa ce désir importun et sombra derechef dans ceux de Morphée.
Ecrit le  Mer 17 Mai 2006, 19:39  par 
dolce vita
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Polychromes (4)

La journée s’était passée dans une agitation constante auquel son esprit faisait écho. Elle ne pouvait s’empêcher de songer à John et de sourire. Il n’était pas du tout comme les hommes qu’elle avait pu rencontrer. Non, certainement pas. Il était.... différent. Elle haussa les épaules devant sa propre gaucherie. Elle essaya d’y voir clair en elle. Si souvent ces messieurs lui disaient des douceurs comme on engloutit un paquet de pop corns, sans y penser ; lui n’agissait pas ainsi. Elle se rendait bien compte que les mots dont il l’abreuvait, il les pensait longtemps avant. Ils avaient d’autant plus de prix que cela lui coûtait visiblement d’ouvrir la bouche sur ce qui touchait son intériorité, une grande pudeur l’habitait. Et il en avait encore tout plein de ces mots tendres qu’il gardait en réserve jusqu’au moment opportun. Elle le présentait. Elle avait très envie de l’appeler, de le voir, de l’entendre... « Très peu féminin comme attitude », songea-t-elle. « « Un homme propose »... Moui », se disait-elle, « quand on lui en laisse le temps »... Elle était en train de finir un article et mâchouillait un bout de pain quand la sonnerie du téléphone la fit sursauter ! « Je vais m’offrir un téléphone avec répondeur, se dit-elle, ce ne serait pas du luxe pour travailler en paix ».
C’était John. Elle changea de couleur, blêmit, rougit, un éclat de joie vint illuminer son sourire et ses yeux pétillèrent ! Il lui proposait d’aller avec elle à un concert, il avait deux places et pensait lui faire plaisir en l’invitant.
-« Fabuleux », lui dit-elle, « Sûr que ça marche. D’accord pour la semaine prochaine, je vais m’organiser».
Elle allait le revoir et c’est lui qui l’invitait... Lui. Il avait toujours sa voix légèrement chantante qu’elle aimait tant. Elle aurait fait des bonds jusqu’au plafond ! Elle s’était retenue de ne pas hurler sa joie au téléphone pour ne pas l’assourdir... Elle se mit à improviser une danse au rythme de sa joie avant de se souvenir que son papier était urgent. Elle avait horreur du travail bâclé. Au journal, on appréciait son professionnalisme et elle n’était pas peu fière des compliments des lecteurs et de son rédacteur en chef. Ce soir, son esprit était ailleurs, elle eut beaucoup de mal à se concentrer. Dans sa tête revenait un prénom. Elle se mit à fredonner « Tonight », avant de se rendre compte du ridicule de la scène et de l’urgence de son boulot... Elle se traita d’adolescente attardée et acheva... Elle ne devait plus être dérangée ce soir là que par ses rêveries. C’est elle qui appela son amie Lindsey pour prendre de ses nouvelles...
Ecrit le  Jeu 18 Mai 2006, 18:14  par 
dolce vita
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Polychromes (5)

Elle était prête. John lui avait dit qu’il passerait la prendre à la demi. Elle avait choisi sa tenue pour être à la fois élégante, douillette, un rien sensuelle... Mozart. Elle partageait son affection entre lui et Molière, connus tous deux pour leur génie et leurs grands appétits... Ce soir, on jouerait du Mozart, profane et sacré... Un ensemble vocal, un trio à corde, de la musique de chambre, le tout dans un cadre de verdure très intimiste... Elle ne voulait pas imaginer quoique ce soit afin de ne pas générer de frustration ; juste savourer l’instant. Ses talons fins mais pas trop haut, sa robe, asymétrique, fines bretelles, gaze épousant ses formes jusqu’aux hanches, cheveux courts, boucles d‘oreilles... Elle sourit à son reflet et se dit en empoignant au passage un grand châle de mousseline que c’était parfait : « Check list OK, captain ! ». Elle entendit la cloche du portail teinter joyeusement : « pile à l’heure ! C’est ce qui s’appelle être ponctuel ! », se dit-elle.
Il était très élégant, en costume et chemise portée négligemment, le comble du raffinement, la blancheur de l’étoffe faisait ressortir agréablement le teint un peu hâlé de John. L’air était doux, chaud mais sans être étouffant. Il la regarda avec un sourire d’une grande douceur et passa sa main autour de la taille pour la conduire :
- La voiture de madame est avancée, si vous voulez bien prendre place, susurra-t-il d’une voix grave de majordome, sans oublier au passage ces attentions délicates qui charment les plus coriaces.
- John, murmura-t-elle mi joueuse, n’en faites pas trop si vous ne voulez que je ne feigne l’évanouissement...
- Oh, mais alors, je vais poursuivre, répliqua-t-il sur le même ton, avant d’éclater de rire avec Alma.
Tous deux se sentaient bien, le cœur léger, détendus et sereins, avec un sentiment de liberté indicible. Ils sentaient confusément que rien de ce qu’ils étaient, pourraient dire ou faire ne pourrait choquer l’autre, rien, et pourtant ils allaient de surprise en ravissement, dans une complicité évidente...
Ecrit le  Ven 19 Mai 2006, 11:38  par 
dolce vita
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Histoires d'amour

Histoires d'amour Ça peut être un conte, ça peut être une fable, un rêve, une nouvelle, mais ça doit surtout être une histoire, un bout de chemin que deux personnes font ensemble. Tant à dire, depuis les circonstances en passant par les moments forts, jusqu'à celui où tout bascule, et tout ça dans un style narratif plutôt que poétique.

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